mardi 5 septembre 2017

Contours du jour qui vient, Léonora Miano






Cela fait déjà deux ans que j’entends parler de Léonora Miano, écrivaine d’origine camerounaise, dans des termes très élogieux. C’est donc très naturellement que j’ai décidé de découvrir ses œuvres en commençant par « Contours du jour qui vient », dont le résumé a piqué ma curiosité.

Ce roman, publié en 2006, est en fait le 2e roman de l’auteure et fait partie d’une trilogie commencée en 2005 avec « L’intérieur de la nuit » et clôturée en 2009 par « Les aubes écarlates ».

« Contours du jour qui vient » raconte l’histoire de Musango, une fillette de neuf ans, qui habite un quartier de Sombé, ville du Mboasu, pays imaginaire d’Afrique équatoriale qui vient d’essuyer une sanglante guerre civile. Musango est constamment maltraitée par sa mère qui pense qu'elle est envoûtée, selon les dires d'une voyante, et l’accuse d'avoir tué son père. Au fil des pages, on comprend que Musango souffre en réalité d’une maladie du sang, la drépanocytose, qui est à l’origine de crises de douleur atroces.

A l’issue d’un ultime acte de maltraitance au cours duquel sa mère l’a rossée de coups et l’a attachée à son lit avec pour première idée de la brûler afin d’anéantir le démon qui vivait en elle, elle fut finalement chassée de la maison, nue, affamée et se retrouva à errer dans les rues de Sombé. Après plusieurs jours d’errance, elle fut d’abord recueillie par Ayané, une âme charitable, avant d’être enlevée par des voyous puis vendue à un groupe d’hommes à la tête d’une secte religieuse et qui, en réalité, exploitent des jeunes filles qu’ils envoient faire le trottoir en Europe.

Tourmentée par l'incompréhension du rejet de sa mère depuis sa naissance jusqu'à cet acte ultime où elle l'a jetée à la rue, Musango mène au fil de l’histoire une véritable introspection où elle analyse l’histoire de sa vie afin de tenter de mettre fin à la colère qui l’anime et de se reconstruire malgré les épreuves qui jalonnent sa longue route.

Le livre met en lumière l'absurdité de certaines croyances africaines (comme celle des démons qui se glissent dans le corps de vos proches afin de vous nuire) qui conduisent à de véritables drames familiaux et rendent les gens influençables, à la merci de sectes religieuses qui leur promettent de les délivrer des esprits maléfiques, du péché et de la misère.

Léonora Miano dépeint sans complaisance mais avec un indéniable humour noir les travers de la société africaine. Le personnage de Musango, riche et complexe, décortique avec habileté les pratiques de son pays, la corruption, la misère, les comportements déviants d’une société où les enfants sont considérés comme des bouches à nourrir et où l’excuse de la sorcellerie est souvent évoquée pour se débarrasser d’eux. Autant de maux qui conduisent les habitants de Sombé à la nécessité de trouver refuge dans les croyances et les promesses des nouvelles églises.

Certains passages du livre sont violents, durs, à l’instar de ceux relatifs à la vie difficile des enfants de rue. Il faut s’accrocher pour aller au-delà de cette brutalité, car l’ouvrage en vaut la peine à travers sa poésie et le message d’espérance qu’il véhicule. Quant aux analyses livrées à travers le regard de Musango, bien qu’impeccablement construites, elles sont bien trop matures pour être portées par une enfant de douze ans (âge de Musango à la fin du livre).

En refermant le livre, je suis ravie d’avoir découvert la plume déterminée et habile de Léonora Miano et ne tarderai pas à lire ses autres ouvrages. Rendez-vous donc prochainement sur le blog pour les partager avec vous !

Citations
Page 52
Les autres n’avaient pas tellement envie d’évoquer leurs désirs secrets. Elles voulaient bien dire comment elles en étaient arrivées là, mais pas plus. Elles savaient qu’il ne servait à rien de parler de ce qu’on voulait faire. Il fallait le faire, c’est tout. Les mots s’envolaient, emportant au loin des bribes de cette énergie vitale qu’on devait concentrer sur l’objectif. Et puis, les paroles attiraient les mauvaises pensées des autres qui, à force de souhaiter l’échec, le faisaient advenir. Le cœur de ces femmes était donc muet. Il ne dévoilait rien de ce qui lui importait. Et lorsque leurs bouches s’exprimaient, on ne pouvait démêler le vrai du faux.

Page 123
Les hommes de ce pays n’aiment que les femmes qui ne veulent pas d’eux. Ils veulent tout donner à celles qui les dédaignent. Les autres les effraient avec leur amour et les multiples exigences qu’ils pressentent dans leurs regards, dans leurs attentes silencieuses, dans les larmes qu’elles versent en secret et qui laissent sur le quotidien la marque visible de l’inassouvi. […] Ils courent vite au-dehors, chercher n’importe quoi, s’étourdir dans des bras qui n’ont à leur offrir que la chaleur éphémère des pulsions ordinaires. […] Ils ne sont pas faits pour les grandes amoureuses, mais pour les réalistes qui savent qu’il leur faudra toujours compter avec ces hommes et jamais sur eux.

Page 176
Les gardiens de La Porte Ouverte du Paradis (secte) sont des faussaires […]. Ils professent eux aussi une foi truquée. Ici, on ne croit pas vraiment. On mise. On tente le coup. Papa et Mama Bosangui savent très bien à qui ils ont affaire. Ils connaissent parfaitement les rouages de la mécanique mentale de ce peuple qui ne peut croire en rien, puisqu’il ne croit pas en lui. Tout doit venir d’ailleurs, d’en haut, d’en bas, peu importe, pourvu que ce ne soit pas de l’intérieur.


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