jeudi 1 février 2018

Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, Raphaëlle Giordano



Bonjour à tous,

J’espère que votre année 2018 a très bien démarré et qu’elle augure déjà de très beaux accomplissements dans vos vies personnelles et professionnelles !

Si tel est le cas, surtout… Continuez, foncez ! Et aussi, gardez de l’optimisme peu importe les aléas éventuels.

Mais, au cas où l’année aurait mal démarré, pour différentes raisons, et que vous avez du mal à envisager un avenir radieux, j’ai pour vous un bel ouvrage qui devrait vous donner les outils pour y arriver !

Cet ouvrage, c’est le best-seller de Raphaëlle Giordano, coach en développement personnel, qui s’intitule « Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une ». Le titre, à lui seul, résume plutôt bien le livre mais pas totalement.

Ce livre raconte l’histoire de Camille qui, à 38 ans, traverse une période difficile dans sa vie. Elle n’est pas vraiment malheureuse car… elle a un travail, un mari, un garçon adorable… Et pourtant, elle ne se sent pas heureuse. C’est vrai ! Son travail ne lui plaît plus, sa vie de couple et de famille n’est pas vraiment au beau fixe, et elle a accumulé ces dernières années de nombreuses frustrations qui la minent au quotidien.

Bref, plus rien ne va dans la vie de Camille ! Alors, lorsque pour couronner le tout, sa voiture tombe en panne après une journée de travail horrible à l’issue de laquelle elle n’aspire qu’à rentrer chez elle, c’est le pompon !

Heureusement, dans son malheur, elle frappe à la porte de Claude Dupontel, qui accepte de lui prêter son téléphone pour qu’elle puisse appeler un dépanneur. Là, dans cette maison terriblement accueillante et cosy, face à cet homme d’âge mûr dont les traits invitaient au dialogue, les nerfs de Camille lâchent et elle explose en larmes.

Claude lui explique alors qu’il est « routinologue » et qu’il pourrait l’aider, grâce à une méthode novatrice, à remonter la pente et développer ses capacités à être heureuse.

S’en suivent plusieurs mois où Claude joue un véritable rôle de coach avec Camille, lui expliquant comment se défaire des pensées négatives, toxiques, qui l’engluent dans un cercle vicieux pour créer une routine de cercle vertueux. De rendez-vous en rendez-vous, dans des lieux plus étonnants les uns que les autres, d’exercices pratiques en petits changements successifs dans la vie de Camille, elle parviendra à porter un regard différent sur la vie et à enfin prendre les décisions qui s’imposent pour mener une vie pleinement épanouie.

En bonus, à la fin du livre, l’auteure livre un précieux récapitulatif de chaque étape de la méthodologie utilisée par Claude pour coacher Camille. Vous devriez y trouver des éléments très utiles pour la vie au quotidien.

Je ne peux que conseiller ce roman qui, au-delà de l’histoire personnelle de Camille, est une véritable ode à l’optimisme et à la foi en soi, en ses talents et en ses rêves, malgré les obstacles environnants.

J’espère que vous aimerez ce livre autant que moi et qu’il vous aidera à voir la vie autrement ! Et n’hésitez pas à partager avec nous vos différents avis !


Très bonne lecture et à très vite !

jeudi 4 janvier 2018

Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie





Bonjour à tous,

Tout d’abord, tous mes vœux de santé, bonheur et réussite pour vous et vos proches pour cette nouvelle année 2018 qui s’offre à nous !
J’espère que les fêtes de fin d’années furent belles et réjouissantes et que vous démarrez l’année d’un excellent pied !

Pour le premier article de l’année, c’est avec un immense plaisir que je partage avec vous mon avis sur le très célèbre « Americanah » de l’inégalable auteure Nigériane, Chimamanda Ngozi Adichie.

Vous vous en doutez peut-être déjà mais… J’ai ADORÉ ce roman ! A la fois parce que le style de l’auteure est riche, drôle et prenant ; parce que je suis réellement admirative de son habileté à dépeindre l'absurdité de certaines situations insignifiantes du quotidien sur un ton à la fois léger et drôle ; mais aussi à cause des thématiques abordées dans le roman, qui m’ont inévitablement renvoyée à mon propre vécu d’africaine immigrée en occident.

L’histoire racontée est celle d’Ifemelu, une jeune femme nigériane à la parole audacieuse et irrévérencieuse, qui est née et a grandi au Nigéria, avant de partir aux États-Unis pour ses études supérieures, abandonnant ainsi derrière elle Obinze, son grand amour de jeunesse avec lequel elle nourrissait des envies d’ailleurs.

Sa nouvelle vie aux États-Unis est bien loin de celle qu’elle avait imaginée, tout d’abord à cause de sa vision très idéalisée de l’Amérique qui conduit à un véritable choc de cultures dès son arrivée, mais aussi parce qu’elle est confrontée à la nécessité de travailler pour payer son loyer et ses dépenses quotidiennes, puis à la difficulté de trouver un job avec un visa étudiant, ce qui l’oblige à travailler avec les papiers d’une amie de sa tante Uju.

Suite à une expérience traumatisante, elle plonge dans une sévère dépression pendant laquelle elle coupe les ponts avec Obinze, avant de poursuivre son intégration dans une Amérique où il est encore difficile pour les noirs de se sentir pleinement légitimes, tandis qu’un fossé de plus en plus profond se creuse entre Obinze et elle.

Chimamanda Ngozi Adichie mêle avec habileté passé et présent, faisant des flashbacks réguliers sur les vies d’Ifemelu et d’Obinze lorsqu’ils étaient au Nigéria, avant de nous entraîner, tour à tour, dans leurs vies présentes, Ifemelu aux États-Unis, Obinze tentant  sa chance en Angleterre avant de retourner au Nigéria, puis à nouveau dans celle d’Ifemelu lorsqu’elle prend la décision de retourner vivre dans son pays d’origine après quinze ans passés aux États-Unis.

 Au-delà du récit des vies d’Ifemelu et d’Obinze et de leur histoire d’amour attachante et passionnée, c’est la condition même de l’être noir qui est décortiquée par l’auteure, qu’il vive en Afrique ou en occident. En Afrique où les noirs sont majoritaires, Ifemelu n’a jamais eu à réfléchir à sa couleur de peau, ce qui n’est pas le cas lorsqu’elle arrive aux États-Unis, où elle réalise que les noirs sont une minorité discriminée et sur lesquels le poids de l’esclavage continue à peser. Ses observations sur la condition de l’Homme noir aux États-Unis feront d’ailleurs l’objet de son blog intitulé « Observations diverses sur les Noirs américains (ceux qu'on appelait jadis les nègres) par une Noire non-américaine » et dont quelques extraits sont régulièrement cités dans le livre.

L’auteure aborde également la difficulté pour un noir africain, diplômé dans son pays d’origine, de pouvoir exercer le même métier aux États-Unis, sans équivalences, à l’instar d’Uju, la tante d’Ifemelu, qui a dû pratiquement tout recommencer à zéro avant de pouvoir exercer comme médecin.

Le thème du défrisage, pratique très répandue chez les noirs, surtout les femmes, est également abordé. A son arrivée aux États-Unis, Ifemelu porte ses cheveux naturellement crépus sous des tresses avant de se résoudre à les défriser lorsqu’elle finit ses études et commence à passer des entretiens d’embauche, afin de rentrer dans la « norme » du cheveu lisse, considéré comme professionnel, là où le cheveu crépu, lui, est considéré comme… non professionnel. Très rapidement, le défrisage abîme ses cheveux, provoquant leur chute, ce qui l’oblige à arrêter cette pratique et, aidée d’une amie noire, à faire des recherches pour garder à nouveau ses cheveux naturellement crépus.

Au fil du roman, les époques se succèdent, telles les vies plurielles qu’un être humain peut avoir au cours d’une seule et même existence. Ainsi, les parents d’Ifemelu finissent par avoir un téléphone fixe à la maison alors que, dans sa jeunesse, ils n’en avaient pas les moyens ; Ifemelu, qui manquait d'argent pour payer son loyer et faire des courses, vivait dans un logement miteux et peinait à joindre les deux bouts, finira par mener une vie de luxe lorsqu’elle sort avec Curt, un Américain blanc, avant de gagner sa propre vie grâce au succès de son blog qui génère des revenus confortables à travers les publicités, devenant ainsi une vraie Americanah autrement dit, une nigériane américanisée.

A nouveau, chapeau bas à Chimamanda Ngozi Adichie pour ce 3e roman remarquable, que j’ai eu le plaisir de savourer après les deux premiers (L’hibiscus pourpre ; L’autre moitié du soleil) qui m’avaient également séduites.

Si vous aussi vous l’avez lu, n’hésitez pas à partager vos ressentis avec  moi !

Très bonnes lectures et à très bientôt sur le blog pour un nouveau partage littéraire !


Citations

Page 104
Quand Ifemelu rapporta à ses parents que la famille de Ginika avait enfin décidé de partir (aux États-Unis, ndlr), son père soupira : « Au moins ils ont la chance d’avoir le choix », et sa mère ajouta « Ils sont bénis. » […]
- Ginika, j’espère que tu sauras encore nous parler à ton retour, dit Priye.
- Quand elle reviendra, elle sera devenue une Americanah sérieuse comme Bisi, dit Ranyinudo.
Elles s’esclaffèrent en entendant le mot « Americanah », prononcé avec jubilation, en traînant sur la quatrième syllabe, et à la pensé de Bisi, une fille de la classe en dessous de la leur qui était revenue d’un court séjour en Amérique avec des manières affectées, feignant de ne plus comprendre le yoruba […].

Page 274
Ifemelu resta en contemplation (à la fenêtre, ndlr) jusqu’à ce que Tante Uju s’asseye à la table, buvant du jus d’orange et exposant ses doléances comme des bijoux. C’était devenu une habitude durant les visites d’Ifemelu : elle rassemblait tous ses griefs dans une bourse de soie, les entretenait, les polissait, et quand Ifemelu venait en visite le samedi, Batholomew absent et Dike à l’étage, elle les étalait sur la table, les retournait chacun dans un sens puis dans l’autre, pour les mettre en lumière.

Page 308
Extrait du blog d’Ifemelu

Les minorités raciales en Amérique – Noirs, Latinos, Asiatiques et Juifs – sont toutes recouvertes de merde par les Blancs, des merdes différentes, mais de la merde quand même. Chacune croit secrètement recevoir la pire. […] Cependant, tous les autres croient être supérieurs aux Noirs parce que, eh bien, parce qu’ils ne sont pas noirs. […] De nombreuses minorités ont une attirance conflictuelle pour la blancheur WASP ou, plus précisément, pour les privilèges de la blancheur WASP. Ils n’aiment probablement pas vraiment la peau blanche mais ils aiment certainement pouvoir entrer dans un magasin sans être suivis par un type de la sécurité. […] Alors si tout le monde en Amérique aspire à être WASP, à quoi aspirent les WASP ? Quelqu’un le sait-il ?



mardi 5 septembre 2017

Contours du jour qui vient, Léonora Miano






Cela fait déjà deux ans que j’entends parler de Léonora Miano, écrivaine d’origine camerounaise, dans des termes très élogieux. C’est donc très naturellement que j’ai décidé de découvrir ses œuvres en commençant par « Contours du jour qui vient », dont le résumé a piqué ma curiosité.

Ce roman, publié en 2006, est en fait le 2e roman de l’auteure et fait partie d’une trilogie commencée en 2005 avec « L’intérieur de la nuit » et clôturée en 2009 par « Les aubes écarlates ».

« Contours du jour qui vient » raconte l’histoire de Musango, une fillette de neuf ans, qui habite un quartier de Sombé, ville du Mboasu, pays imaginaire d’Afrique équatoriale qui vient d’essuyer une sanglante guerre civile. Musango est constamment maltraitée par sa mère qui pense qu'elle est envoûtée, selon les dires d'une voyante, et l’accuse d'avoir tué son père. Au fil des pages, on comprend que Musango souffre en réalité d’une maladie du sang, la drépanocytose, qui est à l’origine de crises de douleur atroces.

A l’issue d’un ultime acte de maltraitance au cours duquel sa mère l’a rossée de coups et l’a attachée à son lit avec pour première idée de la brûler afin d’anéantir le démon qui vivait en elle, elle fut finalement chassée de la maison, nue, affamée et se retrouva à errer dans les rues de Sombé. Après plusieurs jours d’errance, elle fut d’abord recueillie par Ayané, une âme charitable, avant d’être enlevée par des voyous puis vendue à un groupe d’hommes à la tête d’une secte religieuse et qui, en réalité, exploitent des jeunes filles qu’ils envoient faire le trottoir en Europe.

Tourmentée par l'incompréhension du rejet de sa mère depuis sa naissance jusqu'à cet acte ultime où elle l'a jetée à la rue, Musango mène au fil de l’histoire une véritable introspection où elle analyse l’histoire de sa vie afin de tenter de mettre fin à la colère qui l’anime et de se reconstruire malgré les épreuves qui jalonnent sa longue route.

Le livre met en lumière l'absurdité de certaines croyances africaines (comme celle des démons qui se glissent dans le corps de vos proches afin de vous nuire) qui conduisent à de véritables drames familiaux et rendent les gens influençables, à la merci de sectes religieuses qui leur promettent de les délivrer des esprits maléfiques, du péché et de la misère.

Léonora Miano dépeint sans complaisance mais avec un indéniable humour noir les travers de la société africaine. Le personnage de Musango, riche et complexe, décortique avec habileté les pratiques de son pays, la corruption, la misère, les comportements déviants d’une société où les enfants sont considérés comme des bouches à nourrir et où l’excuse de la sorcellerie est souvent évoquée pour se débarrasser d’eux. Autant de maux qui conduisent les habitants de Sombé à la nécessité de trouver refuge dans les croyances et les promesses des nouvelles églises.

Certains passages du livre sont violents, durs, à l’instar de ceux relatifs à la vie difficile des enfants de rue. Il faut s’accrocher pour aller au-delà de cette brutalité, car l’ouvrage en vaut la peine à travers sa poésie et le message d’espérance qu’il véhicule. Quant aux analyses livrées à travers le regard de Musango, bien qu’impeccablement construites, elles sont bien trop matures pour être portées par une enfant de douze ans (âge de Musango à la fin du livre).

En refermant le livre, je suis ravie d’avoir découvert la plume déterminée et habile de Léonora Miano et ne tarderai pas à lire ses autres ouvrages. Rendez-vous donc prochainement sur le blog pour les partager avec vous !

Citations
Page 52
Les autres n’avaient pas tellement envie d’évoquer leurs désirs secrets. Elles voulaient bien dire comment elles en étaient arrivées là, mais pas plus. Elles savaient qu’il ne servait à rien de parler de ce qu’on voulait faire. Il fallait le faire, c’est tout. Les mots s’envolaient, emportant au loin des bribes de cette énergie vitale qu’on devait concentrer sur l’objectif. Et puis, les paroles attiraient les mauvaises pensées des autres qui, à force de souhaiter l’échec, le faisaient advenir. Le cœur de ces femmes était donc muet. Il ne dévoilait rien de ce qui lui importait. Et lorsque leurs bouches s’exprimaient, on ne pouvait démêler le vrai du faux.

Page 123
Les hommes de ce pays n’aiment que les femmes qui ne veulent pas d’eux. Ils veulent tout donner à celles qui les dédaignent. Les autres les effraient avec leur amour et les multiples exigences qu’ils pressentent dans leurs regards, dans leurs attentes silencieuses, dans les larmes qu’elles versent en secret et qui laissent sur le quotidien la marque visible de l’inassouvi. […] Ils courent vite au-dehors, chercher n’importe quoi, s’étourdir dans des bras qui n’ont à leur offrir que la chaleur éphémère des pulsions ordinaires. […] Ils ne sont pas faits pour les grandes amoureuses, mais pour les réalistes qui savent qu’il leur faudra toujours compter avec ces hommes et jamais sur eux.

Page 176
Les gardiens de La Porte Ouverte du Paradis (secte) sont des faussaires […]. Ils professent eux aussi une foi truquée. Ici, on ne croit pas vraiment. On mise. On tente le coup. Papa et Mama Bosangui savent très bien à qui ils ont affaire. Ils connaissent parfaitement les rouages de la mécanique mentale de ce peuple qui ne peut croire en rien, puisqu’il ne croit pas en lui. Tout doit venir d’ailleurs, d’en haut, d’en bas, peu importe, pourvu que ce ne soit pas de l’intérieur.


mardi 11 avril 2017

Petit pays, Gaël Faye





Listé parmi les « must » de la rentrée littéraire 2016, « Petit pays » de Gaël Faye a tout de suite suscité mon intérêt car les critiques le décrivaient comme un chef d’œuvre, premier roman de cet auteur Franco-Rwandais, qui jusqu’alors menait une carrière de chanteur, compositeur.

Le livre relate l’histoire de Gabriel (Gaby), un gamin de 10 ans, né d’un père Français et d’une mère Rwandaise, qui vit avec ses parents et sa petite sœur Ana à Kinanira, un quartier de Bujumbura (Burundi), décrit comme un véritable havre de paix. Avec sa bande de copains (Gino, Armand, les jumeaux), ils mènent une vie insouciante, rythmés par leurs expéditions de chapardages de mangues dans les maisons de « l’impasse », leurs discussions animées les après-midis dans leur quartier général (l’épave d’un Combi Volkswagen), leurs escapades, leurs rêves, les lettres de Gaby à Laure, sa correspondante Française vivant à Orléans.

Et puis, l’univers de Gaby, qui commence à se fissurer lorsque ses parents se séparent, s’effondre peu à peu devant la situation politique instable du Burundi, régulièrement secoué par des coups d’états, mais aussi le conflit ethnique entre les Hutus et les Tutsis au Rwanda, qui finit par éclabousser la paix relative qui régnait au Burundi. Ce conflit ethnique, Gaby le vit de l’intérieur car une partie de la famille de sa mère, restée au Rwanda, y est exposée.

Les élections présidentielles organisées en 1993 au Burundi, après plus de 30 ans de règne du parti unique, allument une lueur d’espoir au sein du peuple, espoir très vite anéanti par un nouveau coup d’état. Le Burundi bascule progressivement dans une guerre civile où les divergences politiques cohabitent avec l’opposition entre Hutus et Tutsis.

Gaby lutte profondément contre ces bouleversements qui le contraignent à tirer un trait sur sa vie insouciante, son refus de se définir comme un Tutsi ce qui induirait une opposition envers les Hutus. Il veut rester loin de la guerre, dans ses souvenirs du temps d’avant. Il rêve d’un jour proche où ses parents se remettront ensemble, où la guerre s’arrêtera et la vie reprendra, comme avant, dans la joie et l’insouciance de cette impasse de Kinanira où il a grandi et a toujours été heureux.

Mais au fil du récit, on sent bien que ce rêve est utopique. La guerre prend de l’ampleur, la tension est palpable, l’ambiance pesante, les antagonismes de plus en plus virulents, et l’auteur entretient habilement un calme inquiétant, de celui qui précède les drames qui fauchent le bonheur au moment où on s’y attend le moins.

La famille rwandaise de Gaby est frappée de plein fouet par la violence indicible des massacres ethniques. Le récit poignant que fait Gaël Faye de ces destins tragiques m’a véritablement bouleversée. Et pour cause, l’atrocité de ces morts, qui a rendu folle la mère de Gaby, n’a pu laisser indemne ni Gaby ni sa sœur, traumatisés à vie par cette projection brutale dans un monde d’adultes.

Gaël Faye signe, dans « Petit pays » un récit poignant et admirablement écrit, qui bouleverse notre monde, notre tendance à vouloir protéger nos univers, à les garder loin de l’horreur qui frappe d’autres pays. Mais, en refermant ce livre, je veux surtout retenir les jolies couleurs et l’insouciance de l’enfance, sa saveur unique et inoubliable.

Je recommande évidemment cet ouvrage qui rentre dans le classement de mes livres favoris.  Ames sensibles, s’abstenir toutefois !


Citations

Page 9 (discussion entre Gaby et son père)
« - La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c’est parce qu’ils n’ont pas le même territoire ?
- Non, ça n’est pas ça, ils ont le même pays.
- Alors… ils n’ont pas la même langue ?
- Si, ils parlent la même langue.
- Alors, ils n’ont pas le même dieu ?
- Si, ils ont le même dieu.
- Alors… pourquoi se font-ils la guerre ?
- Parce qu’ils n’ont pas le même nez. »

Page 172
« Une profonde anxiété s’était abattue sur la ville. Les adultes avaient le sentiment de l’imminence de nouveaux périls. Ils craignaient que la situation ne dégénère comme au Rwanda. Alors on se barricadait toujours un peu plus, et cette saison de violence avait pour conséquence de faire pousser grillages, vigiles, alarmes, barrières, portiques, barbelés. Tout un attirail rassurant nous persuadait que l’on pouvait écarter la violence, la tenir à distance. On vivait dans cette atmosphère étrange, ni paix ni guerre. […] L’insécurité était devenue une sensation aussi banale que la faim, la soif ou la chaleur. La fureur et le sang côtoyaient nos gestes quotidiens. »

Page 185
« Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie. »


mardi 21 février 2017

Un sentiment plus fort que la peur, Marc Levy



Pour avoir lu plusieurs ouvrages de Marc Levy (Sept jours pour une éternité, La prochaine fois, Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites, Le premier jour / La première nuit, Le voleur d’ombres, L’étrange voyage de Monsieur Daldry) et y avoir pris plaisir*, j’avais envie de le relire depuis un long moment déjà.

Son livre intitulé « Un sentiment plus fort que la peur » paru en 2014 figurait donc depuis plusieurs mois sur ma reading list et j’ai enfin trouvé le temps de le dévorer, c’est bien le cas de le dire car l’histoire racontée dans le roman est très prenante.

Que peut bien être ce sentiment plus fort que la peur ? Des idées ?

Est-ce l’amour ? La colère ? Le courage ? La haine ?

Dès les premières lignes, les ingrédients de l’intrigue mystérieuse sont livrés par l’auteur.

Aéroport de Bombay, janvier 1966. Une conversation énigmatique est tenue entre Georges Ashton et Adesh Shamal, qu’il charge d’une commission hautement importante à destination de Genève. Mais le Kanchenjunga, l’avion dans lequel Adesh Shamal embarque, n’arrivera jamais à destination et s’écrase sur le Mont-Blanc.

Mont-Blanc, janvier 2013, soit 47 ans après le crash, on découvre Suzie Baker, l’un des personnages principaux du roman, en expédition en plein hiver sur les hauteurs du Mont-Blanc, accompagnée de son guide, Shamir. Les conditions climatiques ne se prêtent pas à l’ascension de la montagne mais Suzie n’a qu’une idée en tête, arriver au somment du Mont-Blanc, en dépit des mises en garde de Shamir.

Son objectif ? Retrouver l’épave du Kanchenjunga et par la même occasion un document qui rendrait justice à sa famille accusée de haute trahison près de cinq décennies plus tôt. Mais la découverte qu’elle fait ne résout pour autant pas l’énigme, ce qui l’amène à entraîner dans sa quête de la vérité, Andrew Stilman, Reporter renommé du New York Times et presqu’aussi déterminé et jusqu’au-boutiste qu’elle.

Nous voilà embarqués sur les traces de ces deux personnages attachants et hauts en couleur, à travers leur enquête riche en rebondissements, qui réveille des passions et intérêts insoupçonnés et leur vaut d’être traqués par les services secrets américains. Suzie et Andrew devront déjouer les apparences trompeuses, fausses pistes, manipulations et guet-apens, jusqu’au dénouement final de l’intrigue.

J’ai aimé ce roman de Marc Levy qui tient en haleine dès le début du livre notamment à travers l’expérience tragique vécue par Suzie au cœur du Mont-Blanc ; puis par le suspense omniprésent jusqu’à la fin surprenante de l’histoire. J’aurais toutefois aimé une fin plus soignée, qui réponde aux questions et suggestions soulevées par l’auteur lui-même, notamment autour des crashs mystérieux des deux appareils de la compagnie Air India.

Ensuite, la force de caractère des deux personnages principaux ne peut que susciter de l’intérêt et une certaine admiration.

Suzie Baker, outre le fait qu’elle est une manipulatrice hors pair, dotée d’une détermination incroyable et prête à tout pour arriver à ses fins, nous livre une belle leçon de dépassement de soi face à l’adversité et à la nécessité de survivre, lors de son ascension du Mont-Blanc.

Andrew Stilman, dont la quête du sensationnel et du sujet d’un prochain article rend presqu’aussi déterminé que Suzie, tout en sachant faire preuve de réalisme (ce qui n’est pas toujours le cas de Suzie).

En faisant quelques recherches sur le net, j’ai réalisé que le personnage d’Andrew Stilman se trouvait dans un précédent roman de Marc Levy, « Si c’était à refaire ». Alors, peut-être que je vais également rajouter celui-là à ma reading list !

Très bonne lecture à vous et à bientôt pour un nouveau partage !


* Lien de l’article « Focus sur un auteur : Marc Levy »
http://bouquins-land.blogspot.fr/2014/09/focus-sur-un-auteur-marc-levy.html


jeudi 5 janvier 2017

La légende de l'assassin, Kangni Alem




N’étant pas fan des romans qui parlent de meurtres et d’autres thèmes sanguinolents, je n’aurais pas été spontanément attirée par le titre du dernier roman de Kangni Alem, « La légende de l’assassin ».

Et pourtant, la couverture du livre m’a tout de suite fait de l’œil – un vieil homme paumé, ayant essayé d’avoir un look apprêté, sans vraiment y parvenir ; avec une cigarette coincée entre les lèvres. Je ne pouvais pas passer mon chemin sans au moins savoir de quoi parlait le livre. Par ailleurs, j’avais le souhait de découvrir l'auteur depuis de nombreuses années déjà sans pour autant sauter le pas. C'est désormais chose faite !

« La légende de l’assassin », c’est l’histoire d’une enquête sur un crime qui remonte à trois décennies : Apollinaire, avocat renommé de TiBrava (une ville imaginaire d’un pays d’Afrique occidentale, ressemblant fortement au Togo), est pris de remords à la veille de sa retraite. Il se rappelle d’un procès perdu trente ans plus tôt, alors qu’il était avocat commis d’office pour un certain K.A., accusé d’avoir décapité un homme et dont le sort est scellé par la population qui réclame sa mort mais aussi par le gouvernement, représenté par le procureur Joseph Bannerman, qui semble pressé de boucler l’affaire.

Les premières lignes du roman, sur l’autoportrait peu reluisant d’Apollinaire, donnent envie de poursuivre. Quelques détails sont jetés sur l’affaire K.A. et attisent la curiosité. Notamment autour du mystérieux révérend Gail Hightower.

Je découvre avec plaisir l’univers de Kangni Alem, à travers ce territoire appelé TiBrava dont la description est très ressemblante avec le Togo. Et si je laissais encore le bénéfice du doute à l’auteur, la similitude entre le personnage fictif du révérend Gail Hightower, célèbre pour ses prêches dans des émissions télés, et un personnage bien réel et très populaire au Togo, le pasteur A… n’est certainement pas une simple coïncidence (cf citation à la fin de l’article). Sans parler du fait divers relaté dans le livre sur Midi Lackos, chanteur populaire Togolais, ayant trouvé la mort par décapitation, de la même manière que la victime de K.A.

J’ai aimé le style emporté de l’auteur, l’écriture recherchée, même si j’ai parfois eu du mal avec les choix de vocabulaire et la tendance excessive à l’utilisation de mots compliqués, rendant la lecture parfois ardue. Avec du recul, rien d’étonnant puisque l’auteur est professeur de littérature et de théâtre !

J’ai accompagné avec plaisir le périple d’Apollinaire dans cette région de Plateaux, d’où est originaire K.A. et où vit le révérend Hightower, personnage mystérieux et double, à la fois fervent chrétien et adepte de pratiques mystiques. L’auteur nous plonge dans une ambiance où la superstition et la sorcellerie sont omniprésentes, où enjeux politiques et sorcellerie semblent faire bon ménage. A moins d’être connaisseur ou particulièrement intéressé par cet univers spécial, on finit par se lasser des longues élucubrations autour des pratiques mystiques, l’intrigue prenant parfois des tournures improbables et les détails sur les rituels occultes assez dérangeants. Vers la fin, réalité, rêves et mysticisme s’entremêlent même si bien qu'on peine à suivre le fil de l’histoire.

En refermant le livre, malgré la beauté du texte et la pertinence de l’intrigue, je reste sur ma fin. Même si l’enquête d’Apollinaire permet d’éclairer la lanterne du lecteur sur les mystères liés à l’affaire K.A., certaines questions restent sans réponse, de sorte que chaque lecteur peut interpréter l’issue à sa guise. J’aurais personnellement préféré que l’auteur prenne le parti d’apporter clairement les réponses.

Je m’interroge également sur la troublante coïncidence par laquelle la fille de K.A. porte le même prénom que la femme aimée par Apollinaire : Rose.

En conclusion, je recommande ce bel ouvrage pour la qualité de sa prose, l’intérêt de l’intrigue, qui permet de passer un agréable moment de lecture. Ayant lu de belles critiques sur l’avant dernier roman de Kangni Alem, « Esclave », je pense le rajouter prochainement à ma reading list.

Très bonne lecture à vous et à bientôt !

Citations
Page 46 (au sujet du révérend Gail Hightower)
« Les soirs où je ne dormais pas, affalé devant la télé avec une de mes maîtresses rotatives, je savourais ses prouesses. Il prenait un film produit dans les studios de Nollywood, Nigéria, un soap opera à la morale efficace comme un rasoir, et commentait les images librement. Du grand art. Les images qui défilaient n’étaient point contrepoints à ses paroles. Lui évoluait dans le dixième degré, quand les personnages du film se démenaient encore dans une pitoyable troisième dimension. D’ailleurs, ils étaient renommés par ses soins, avec une liberté frisant la figure de style ».

Page 145
« Nataka et ses histoires à dormir debout. Elle habitait le quartier Limousine […]. Un quartier rempli de féticheurs. Derrière le chantier abandonné de l’école de la gendarmerie, les baobabs aux sommets infestés de fiente de chauve-souris étaient autant de repaires pour les fauves de la cité. On y croisait de tout dans le quartier, une fois la nuit tombée : barons et sommités de la politique locale, à la recherche de toujours plus de pouvoirs occultes pour briller dans les tunnels du Pouvoir, manats et sorciers du second ordre, ceux à qui le don avait été transféré sans qu’ils sachent quoi en tirer, et qui frappaient sans discernement leurs victimes, sans en retirer quelque bénéfice substantiel. »

lundi 10 octobre 2016

Confessions d’une sardine sans tête, Guy Alexandre Sounda





Bonjour à tous ! Ce mois-ci, je partage avec vous mon avis sur le livre "Confessions d'une Sardine-sans-tête" de Guy Alexandre Sounda, un écrivain Congolais, que m’a fait découvrir Laréus Gangoeus du blog Chez Gangoueus (http://gangoueus.blogspot.fr/).

Je ne connaissais pas cet auteur et je dois dire que j'ai été agréablement surprise par l'ouvrage qui est une sorte de monologue entre le personnage principal, Fabius Mortimer Bartoza qui n’a plus toute sa tête, et sa poupée russe.

Tout d'abord, la beauté du texte ne m’a pas laissée indifférente. Le mot de l'éditeur résume d'ailleurs parfaitement l'œuvre, en mettant l'accent sur la richesse du vocabulaire utilisé et la fantaisie omniprésente tant dans l'histoire que dans le choix des mots. L’auteur use et abuse de métaphores pour le plus grand bonheur du lecteur, et ce bel exercice de style sublime et honore la langue française. 

L’usage d’expressions atypiques comme « boulevarder sur les Champs-Élysées », ou encore « je donne mes lèvres à couper » rendent également la lecture plaisante. L’audace de l’auteur se retrouve également dans le nom des villes (Issy-les-Blaireaux, Massy-les-Oiseaux, Garces-les-Gonzesses, Poissy-les-Barjos) et dans certains néologismes (« un mec bradpittant », « Al-Caponisme », « kamikazonie).

Ensuite, le livre m'a également séduite parce que l'auteur réussit avec brio à nous embarquer dans l'univers complètement fou, dérangé de Fabius Mortimer Bartoza, qui est englué malgré lui dans un cycle sans fin dont il est à la fois victime et coupable.

Fabius Mortimer Bartoza, trente ans, originaire du Gombo (pays imaginaire décrit comme étant situé entre le Gabon et l’Angola et qui ressemble fortement au Congo-Brazzaville), vit à Paris, où il est sans papiers et est tourmenté par son passé de milicien au cours de la guerre civile du Gombo, ce qui l’empêche de mener une vie normale et stable.

Le passé de milicien de Fabius est d’ailleurs un des points angulaires du livre puisque de ce passé sont issus sa folie, sa paranoïa, les 76 cadavres qui le hantent à longueur de journée, mais également son addiction à l’alcool, qui l’aide à noyer son traumatisme mais n’arrange en rien son état psychique fragile.

Quelques jours avant ses trente ans, Fabius fortement alcoolisé, trouve refuge dans un parc, bien décidé à y attendre le jour de ses trente ans, comme le lui a conseillé Demina Dilayo, un vieil homme imaginaire tapi au fond de sa bouteille de rhum. Persuadé d’être poursuivi par la malchance (la guigne comme il l’appelle lui-même) depuis sa naissance, à cause d’un bouton noir sur son front, il trouve là le seul moyen de s’en défaire et au passage se débarrasser des 76 cadavres installés dans sa tête. Une poupée russe, ramassée dans le parc, devient sa confidente de circonstance, puisque c’est à elle qu’il s’adresse lorsqu’il fait une rétrospective sur sa vie. Au fil des pages et de la narration, on commence à entrevoir l’origine de la folie de Fabius, qui est bien plus profonde encore que le traumatisme lié à la guerre Gomboloise.

Guy Alexandre Sounda dépeint avec ironie mais tellement de justesse les dictatures africaines (hold-up du pouvoir et des emplois par les proches du président, absurdité des meurtres perpétrés), et égratigne au passage les hommes politiques.

Il nous perd également entre l'imaginaire et la réalité, à travers les délires et hallucinations de Fabius et en cela, le récit est étourdissant. C’est d’ailleurs l’une des forces de l’ouvrage car il est souvent difficile de distinguer la réalité de la fiction, tellement les deux mondes sont imbriqués. Les péripéties de Fabius font écho aux mystères et pratiques mystiques de l'Afrique noire (sorciers qui se cachent dans les bouteilles d'alcool pour tuer, cohabitation entre les vivants et les revenants...).

Vous l’aurez compris, j’ai réellement apprécié cet ouvrage plein d’audace et magnifiquement rédigé, qui illustre avec précision la dépossession de soi, même si j’avais le sentiment d’être dans la tête d’un fou, parfaitement interprété par Fabius, et que certaines descriptions des effets de sa folie m’ont un peu dérangée. Petit bémol également pour la fin du livre, car j’aurais voulu plus de détails sur la vie de Fabius entre ses 30 ans et le début de la narration, soit 30 ans plus tard.


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Citations

Page 98
Tout ça ne serait jamais arrivé si nous avions possédé un poteau dans la famille : un homme important qui connaît des gens importants qui à leur tour connaissent des hommes importants dans le milieu du Parti ou du gouvernement. Les choses marchaient ainsi au pays : pas poteau point de boulot et bonjour les bobos.

Page 131
Elle me trouvait certes mignon et prévenant, mais pas solide pour un sou, et cela effrayait ses parents. Ça signifie quoi être solide ? C’est te lever tous les matins à cinq heures, prendre ton métro ou ta voiture, pousser la porte de ton usine ou de ton bureau, attendre que les semaines passent en serrant les fesses, toucher ton salaire, payer ton loyer et tes impôts, sortir ta carte de crédit au moment qu’il faut, emmener ta femmes en vacances à la mer et revenir avec la peau bronzée et la langue salée, râler quant à la télé on ne parle que des gens qui meurent de faim ou d’aigreur, être heureux même quand tu ne l’es pas ! En effet, dit comme ça, je n’étais pas solide.


Page 215
Euh, bonjour Majesté ! Je viens d’un pays qui pue la fin des nouilles, un petit pays tiraillé entre le fromage et le foufou, entre la rumba et le jazz, entre la bible et les fétiches, entre le gazon et la paille, un tout petit pays de cinquante-cinq mille kilomètres cruellement carrés où les hommes vivent de bières et les femmes de prières, où les gosses rêvent de révolutions et de révoltes à la belle étoile en s’entraînant avec des fusils en carton dans les arrière-cours infestées de moustiques !