Bonjour à tous,
Pour la chronique de ce jour, je vous invite à
découvrir la plume fluide, habile et attachante d’un jeune auteur, Abram
Almeida, à travers son premier roman « La gueule de leur monde » qui
traite, sous un angle à la fois léger et terriblement réaliste, d’un sujet
d’actualité : la migration, en l’occurrence celles des Africains vers
l’Europe.
Ces derniers mois, il ne se passe pas une semaine
sans que le sujet brûlant des migrants ne soit évoqué dans les médias.
Confortablement nichés dans nos quotidiens, l’on pourrait être tenté de ne pas
se sentir concerné par leur misère, ou pire encore se dire qu’ils l’ont bien
cherché. A-t-on idée de s’entasser dans des embarcations de fortune dans
l’espoir d’atteindre les portes d’une Europe déjà accablée par ses propres
problèmes économiques et sociaux ? Mais, la vraie question à se poser
est : pourquoi ? Pourquoi ces migrants font-ils le choix de quitter
leurs pays, leurs familles, au risque de leur vie ? Certainement pas par simple
lubie !
L’histoire racontée par Abram Almeida est celle
d’un jeune burkinabè, fraîchement diplômé après cinq années d’études dans une
université locale, et qui peine à trouver du travail dans un Burkina encore
marqué par le soulèvement populaire d’octobre 2014 et la démission du président
Compaoré, et où le chômage des jeunes va malheureusement crescendo.
Après plusieurs entretiens d’embauche infructueux
et suite à une rencontre fortuite avec deux migrants, notre jeune diplômé qui
en a marre de tourner en rond, sans perspectives d’avenir dans son propre pays,
prend une décision ultime : tenter lui aussi l’aventure vers
l’Europe !
Armé de rêves, d’espoir, d’une naïveté touchante
mais parfois agaçante, d’un plan presque parfait et de plusieurs milliers de
francs CFA, il se lance donc dans un périple vers le vieux continent. Mais, le
voyage vers l’Europe est loin d’être linéaire et dénué d’embûches, d’autant
plus lorsqu’on est un migrant clandestin, à la merci de l’adversité, de la
précarité et de passeurs malhonnêtes.
Depuis le Niger en passant par le Mali, puis
l’Algérie et le Maroc, notre jeune héros qui se lie d’amitié avec d’autres
migrants, dont un ivoirien aussi débrouillard que roublard, sera vite confronté
aux désillusions d’un voyage où l’imprévu fait loi : agents de douane
corrompus au Niger, djihadistes armés jusqu’aux dents et sans états d’âme au
Mali, passeurs (devrais-je plutôt dire escrocs) profiteurs de la misère des
migrants, policiers violents et bastonneurs en Algérie comme au Maroc,
esclavagistes barbares en Libye, changements de plans suite à de nombreux
échecs etc.
Et, la violence. Partout. De plus en plus
insoutenable. Celle de l’indifférence du monde mais surtout, celle des
molesteurs, des tortionnaires. Tout au long du voyage, les cadavres de migrants
s’entassent. Nombreux sont ceux qui n’atteindront pas leur destination
finale. Le récit de notre jeune héros a beau être empreint d’humour,
d’ironie et de bienveillance, notamment envers ses bourreaux, il nous fait
vivre de l’intérieur ce qu’on nous montre à la télé sur la condition des
migrants au Maghreb, sur l’esclavage des noirs en Libye. C’est comme être dans
les coulisses de l’horreur, on s’en passerait bien. Et pourtant, c’est ce que
vivent des milliers de migrants.
C’est dur de voir, bien en face, à quoi ressemble
la gueule de notre monde. Un monde dans lequel des hommes, des femmes, des
enfants risquent leurs vies tous les jours dans leur quête d’un monde meilleur.
Comment y rester insensible ? Comment fermer le livre sans vouloir connaître
le dénouement ? Notre jeune héros parviendra-t-il à atteindre l’Europe
malgré les nombreuses difficultés qui jalonnent sa route ?
Avec « La gueule de leur monde », Abram
Almeida signe un récit poignant qui nous renvoie à nos propres
existences, à l’absurdité de notre monde et de nos modes de vie.
J’ai beaucoup aimé le style fluide et accessible de
l’auteur qui, l’air de rien, nous livre une analyse éclairée sur le monde
d’aujourd’hui, à la gueule peu reluisante, où le néo colonialisme des grandes
puissances économiques et les enjeux sociopolitiques créent de nombreux
dommages collatéraux comme la misère dans de nombreux pays et la horde de
migrants de part et d’autre du globe.
Pour finir, j’ai passé un très bon moment de
lecture et je recommande donc ce roman sans hésiter !
Très bonne lecture à vous et si vous avez
l’occasion de le lire, n’hésitez pas à venir m’en parler sur le blog !
Citations
Page 23
[…] Ces deux parcours de vie m’ont sidéré. Il n’y avait
donc pas que moi dans cette galère ? C’était même quelque chose de commun à
toute l’Afrique. Le président qui est parti dans un hélicoptère français n’y était
donc pour rien ? On a failli le tuer sans raison valable ? Et le général
qui a voulu prendre sa place ? Ce n’était ainsi pas sa faute non plus ?
C’était préalablement convenu entre tous les chefs d’états africains ? On formait
une élite et on la regardait tourner en rond pendant que les parents, amis et connaissances
occupaient des postes pour lesquels ils n’avaient aucune compétence ?
Page 105
Et il y en avait d’ailleurs une autre de blague espagnole,
bien plus petite que Melilla certes, mais une belle blague quand même. C’était Ceuta.
De belles raisons de se foutre sur la gueule en perspective. Dans un avenir qui
ne saurait tarder.
Les hommes s’étaient donc partagé notre bonne vieille
planète comme s’il s’agissait d’une pizza napolitaine. Ils s’étaient installés un
peu partout et avaient décidé que désormais telles et telles parties du monde étaient
à eux… du monde, de la mer et même des airs. Ils avaient écrit des chansons bien
barbares qu’ils avaient appelés hymnes nationaux, pris des bouts de tissus qu’ils
avaient décorés et nommés drapeaux, enfin, ils avaient retranscrit sur papier l’étendue
de ce qui était désormais à eux. Ils ont appelé ça des frontières.
Page 112
Satanés réseaux sociaux, aujourd’hui n’importe quel
ahuri pouvait déclencher une révolution pour la modique somme de cent quarante caractères
bien trempés et d’une connexion internet merdique. Ah, si Gustave Le Bon voyait
ça, toute la puissance d’internet au service des foules. Ni plus ni moins qu’une
apocalypse en gestation.
L’arme atomique ? Un jouet chers gens, voici Facebook
et Twitter. Une photo, une vidéo, un texte et voilà qu’on vous met tout le monde
sens dessus dessous. Les réseaux sociaux, c’était ce que l’homme avait inventé qui
se rapprochait le plus du verbe : « Lorsqu’Il décide une chose, Il dit seulement : « Sois »,
et elle est ». Bientôt, on aurait ceci à la place : « Lorsqu’ils décident une chose, ils écrivent seulement :
« Hashtag », et elle est ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Un avis sur cet article? N'hésitez pas à le laisser ci-dessous !