jeudi 5 janvier 2017

La légende de l'assassin, Kangni Alem




N’étant pas fan des romans qui parlent de meurtres et d’autres thèmes sanguinolents, je n’aurais pas été spontanément attirée par le titre du dernier roman de Kangni Alem, « La légende de l’assassin ».

Et pourtant, la couverture du livre m’a tout de suite fait de l’œil – un vieil homme paumé, ayant essayé d’avoir un look apprêté, sans vraiment y parvenir ; avec une cigarette coincée entre les lèvres. Je ne pouvais pas passer mon chemin sans au moins savoir de quoi parlait le livre. Par ailleurs, j’avais le souhait de découvrir l'auteur depuis de nombreuses années déjà sans pour autant sauter le pas. C'est désormais chose faite !

« La légende de l’assassin », c’est l’histoire d’une enquête sur un crime qui remonte à trois décennies : Apollinaire, avocat renommé de TiBrava (une ville imaginaire d’un pays d’Afrique occidentale, ressemblant fortement au Togo), est pris de remords à la veille de sa retraite. Il se rappelle d’un procès perdu trente ans plus tôt, alors qu’il était avocat commis d’office pour un certain K.A., accusé d’avoir décapité un homme et dont le sort est scellé par la population qui réclame sa mort mais aussi par le gouvernement, représenté par le procureur Joseph Bannerman, qui semble pressé de boucler l’affaire.

Les premières lignes du roman, sur l’autoportrait peu reluisant d’Apollinaire, donnent envie de poursuivre. Quelques détails sont jetés sur l’affaire K.A. et attisent la curiosité. Notamment autour du mystérieux révérend Gail Hightower.

Je découvre avec plaisir l’univers de Kangni Alem, à travers ce territoire appelé TiBrava dont la description est très ressemblante avec le Togo. Et si je laissais encore le bénéfice du doute à l’auteur, la similitude entre le personnage fictif du révérend Gail Hightower, célèbre pour ses prêches dans des émissions télés, et un personnage bien réel et très populaire au Togo, le pasteur A… n’est certainement pas une simple coïncidence (cf citation à la fin de l’article). Sans parler du fait divers relaté dans le livre sur Midi Lackos, chanteur populaire Togolais, ayant trouvé la mort par décapitation, de la même manière que la victime de K.A.

J’ai aimé le style emporté de l’auteur, l’écriture recherchée, même si j’ai parfois eu du mal avec les choix de vocabulaire et la tendance excessive à l’utilisation de mots compliqués, rendant la lecture parfois ardue. Avec du recul, rien d’étonnant puisque l’auteur est professeur de littérature et de théâtre !

J’ai accompagné avec plaisir le périple d’Apollinaire dans cette région de Plateaux, d’où est originaire K.A. et où vit le révérend Hightower, personnage mystérieux et double, à la fois fervent chrétien et adepte de pratiques mystiques. L’auteur nous plonge dans une ambiance où la superstition et la sorcellerie sont omniprésentes, où enjeux politiques et sorcellerie semblent faire bon ménage. A moins d’être connaisseur ou particulièrement intéressé par cet univers spécial, on finit par se lasser des longues élucubrations autour des pratiques mystiques, l’intrigue prenant parfois des tournures improbables et les détails sur les rituels occultes assez dérangeants. Vers la fin, réalité, rêves et mysticisme s’entremêlent même si bien qu'on peine à suivre le fil de l’histoire.

En refermant le livre, malgré la beauté du texte et la pertinence de l’intrigue, je reste sur ma fin. Même si l’enquête d’Apollinaire permet d’éclairer la lanterne du lecteur sur les mystères liés à l’affaire K.A., certaines questions restent sans réponse, de sorte que chaque lecteur peut interpréter l’issue à sa guise. J’aurais personnellement préféré que l’auteur prenne le parti d’apporter clairement les réponses.

Je m’interroge également sur la troublante coïncidence par laquelle la fille de K.A. porte le même prénom que la femme aimée par Apollinaire : Rose.

En conclusion, je recommande ce bel ouvrage pour la qualité de sa prose, l’intérêt de l’intrigue, qui permet de passer un agréable moment de lecture. Ayant lu de belles critiques sur l’avant dernier roman de Kangni Alem, « Esclave », je pense le rajouter prochainement à ma reading list.

Très bonne lecture à vous et à bientôt !

Citations
Page 46 (au sujet du révérend Gail Hightower)
« Les soirs où je ne dormais pas, affalé devant la télé avec une de mes maîtresses rotatives, je savourais ses prouesses. Il prenait un film produit dans les studios de Nollywood, Nigéria, un soap opera à la morale efficace comme un rasoir, et commentait les images librement. Du grand art. Les images qui défilaient n’étaient point contrepoints à ses paroles. Lui évoluait dans le dixième degré, quand les personnages du film se démenaient encore dans une pitoyable troisième dimension. D’ailleurs, ils étaient renommés par ses soins, avec une liberté frisant la figure de style ».

Page 145
« Nataka et ses histoires à dormir debout. Elle habitait le quartier Limousine […]. Un quartier rempli de féticheurs. Derrière le chantier abandonné de l’école de la gendarmerie, les baobabs aux sommets infestés de fiente de chauve-souris étaient autant de repaires pour les fauves de la cité. On y croisait de tout dans le quartier, une fois la nuit tombée : barons et sommités de la politique locale, à la recherche de toujours plus de pouvoirs occultes pour briller dans les tunnels du Pouvoir, manats et sorciers du second ordre, ceux à qui le don avait été transféré sans qu’ils sachent quoi en tirer, et qui frappaient sans discernement leurs victimes, sans en retirer quelque bénéfice substantiel. »