Hello les bouquins-lecteurs !
Parfois, on aimerait que la vie s’écoule
paisiblement, sans toutes ces histoires sordides qui font la une des
journaux : meurtres, viols, enlèvements, attentats, émeutes, guerres,
catastrophes climatiques… Mais force est de constater que la réalité est toute
autre.
Depuis de trop nombreuses années, on ne compte plus
les violences policières et les assassinats d’hommes noirs par des policiers
blancs et qui défraient la chronique aux Etats-Unis. On regarde ces images aux
infos ; on compatit ; on est en colère contre le système ; on
tweete des #blacklivesmatter ; on déplore l’injustice qui fait suite à la
plupart de ces meurtres dont les auteurs restent impunis…
Et puis, la vie continue et malgré nous, on oublie
un peu. Jusqu’à ce qu’un autre meurtre ne fasse la une des journaux.
En tant que femme noire, je me sens
particulièrement touchée par cette réalité horrible que vivent les afro
américains, cette insécurité liée à leur couleur de peau, à leur condition
sociale, et qui fait d’eux des cibles plus fréquentes de contrôles policiers injustifiés.
Alors, quand j’ai eu l’occasion de lire le roman
« The Hate U Give » d’Angie Thomas, qui aborde ce thème sensible, je
n’ai pas hésité une seule seconde. Un grand merci d’ailleurs à Léna du blog @baobablitteraire
qui a eu l’excellente idée de faire gagner ce roman lors d’un concours en février
dernier et j’ai eu la chance et l’immense honneur d’en être l’heureuse
gagnante.
« The Hate U Give » raconte l’histoire de
Starr, une adolescente noire de 16 ans, qui habite le quartier défavorisé de
Garden Heights, un quartier de noirs, où guerres entre gangs ennemis, drogue et
violence, sirènes de police et coups de feu font partie du quotidien.
Pour lui permettre d’avoir un avenir en dehors du ghetto, ses parents l’inscrivent au lycée Williamson, situé dans un quartier chic, et majoritairement fréquenté par des blancs.
Un soir, alors qu’elle rentre d’une soirée avec
Khalil, son ami d’enfance noir, ils subissent un contrôle de police qui tourne
mal : Khalil est assassiné devant Starr par un policier blanc qui lui tire
trois balles dans le dos.
Cette tragédie bouleverse à tout jamais la vie de
Starr, qui de prime abord hésite entre « ouvrir la voix » pour
raconter sa version des faits et rendre justice à son ami, et fermer sa gueule
pour ne pas mettre en péril l’équilibre de sa vie et l’image lisse de la jeune
femme noire qu’elle entretient dans son lycée.
Mais très rapidement, lorsqu’elle apprend que le
policier qui a tué Khalil ne sera pas inculpé et que l’affaire risque d’être
enterrée, la révolte prend le dessus sur la peur et Starr, avec le soutien de sa
famille, de ses proches et de toute la communauté noire de Garden Heights,
décide de parler pour que justice soit faite. Et ce, malgré tous les risques
que cela comporte pour elle et sa famille. S’en suivent alors un cheminement et
une lutte intérieure qui lui permettront de s’assumer et s’affirmer pleinement,
en tant que femme noire, et de réaliser que sa voix compte.
Dès les premières lignes du livre, j’ai aimé le
style fluide et sans chichis d’Angie Thomas, qui, à travers Starr, la
narratrice, nous plonge dans l’univers et le vocabulaire (parfois familier et
auquel il faut s’adapter) de cette adolescente, avec une bonne dose d’humour et
son quotidien atypique, tiraillé entre la vie dans son ghetto et celle avec ses
amis du lycée Williamson.
J’ai également beaucoup aimé la relation forte,
presque fusionnelle entre Starr et ses parents, même si ces derniers ont leur
caractère bien trempé et ne manquent pas d’autorité pour gérer leur petite
famille. Mais, sous leurs airs durs, ils débordent d’amour et de tendresse pour
leurs enfants et sont prêts à tout pour les protéger et les rendre heureux.
Un des passages qui m’a bouleversée dans ce livre,
c’est le moment ou Starr se rappelle comment, alors qu’elle avait douze ans, son
père lui a appris à se comporter lors d’un contrôle de police, pour lui éviter
d’être tuée : « Tu fais tout ce
qu’ils te disent de faire. Garde tes mains en évidence. Ne fais pas de
mouvement brusque. Ne parle que si on te pose une question. »
Le roman aborde également, avec beaucoup d’habileté,
le sujet du racisme ordinaire et institutionnel aux Etats-Unis, ainsi que celui
des préjugés et stéréotypes raciaux présents tant au sein de la communauté
noire que blanche.
Pour ce qui est du titre du roman, dès le premier
chapitre, on comprend qu’il est tiré du nom du groupe « Thug Life » créé
par Tupac, célèbre rappeur afro-américain des années 90 : T.HU.G. L.I.F.E
=> The Hate U Give Litte Infants Fucks
Everybody, (La haine qu’on donne aux bébés fout tout le monde en l’air ;
en d’autres termes, ce que la société nous fait subir quand on est gamins lui
pète ensuite à la gueule).
Pour finir, j’ai vraiment adoré ce roman poignant et
bouleversant que je recommande vivement.
Et vous, l’avez-vous lu ? Si c’est le cas, n’hésitez
pas à me dire ce que vous en avez pensé !
Très bonnes lectures à tous et à bientôt !
Citations
Page 185
Maman jette un regard vers moi
et fronce les sourcils.
-
Ça va, Miam ?
J’attrape la poignée de la
portière. Ils peuvent dégainer en une seconde et nous abattre comme Khalil. Le
corps qui se vide de son sang sur le bitume devant tout le monde. La bouche
béante. Les yeux vers le ciel, qui cherchent Dieu.
-
Eh, fait maman en me pinçant la joue. Eh,
regarde-moi.
J’essaie, mais j’ai les yeux
plein de larmes. J’en ai tellement marre d’être faible comme ça, putain !
Khalil a peut-être perdu la vie, mais moi aussi j’ai perdu quelque chose et ça
me fout en rogne.
-
Tout va bien, dit maman. On va gérer ça d’accord ?
Ferme les yeux s’il le faut.
C’est ce que je fais.
Garde tes mains en évidence.
Ne fais pas de mouvement brusque.
Ne parle que si on te pose une question.
Les secondes s’écoulent comme
des heures L’agent demande ses papiers à maman et l’assurance de la voiture,
pendant que moi, je supplie Jésus Noir de nous ramener saines et sauves chez
nous, en espérant ne pas entendre un coup de feu pendant qu’elle fouille dans
son sac.
On finit par repartir.
-
Tu vois, mon bébé, dit-elle. Tout va bien.
Avant, ce qu’elle disait faisait
de l’effet. Si elle assurait que tout allait bien, c’était que tout allait
bien. Mais quand on a tenu dans ses bras deux personnes en train de rendre leur
dernier souffle, ce genre de phrases ne veut plus rien dire.
Page 251
Grandma nous accueille sur lel
pas de la porte. La connaissant, elle devait être à sa fenêtre depuis qu’on est
arrivés. Elle tire sur sa cigarette, l’autre bras replié contre elle. Elle
souffle la fumée vers le plafond tout en dévisageant DeVante.
-
Et qui est-ce ? dit-elle.
-
DeVante, répond Oncle Carlos. Il va habiter avec
nous.
-
Comment ça il va habiter avec nous ?
-
Comme je viens de le dire. Il a des petits
soucis à Garden Heights et il faut qu’il reste ici.
Quand elle se met à ricaner avec
mépris, je comprends d’où maman tient ça.
-
Des petits soucis, hein ? Dis-moi la
vérité, mon garçon. (Elle baisse a voix, l’œil suspicieux). Tu as tué quelqu’un ?
-
Maman ! fait ma maman.
-
Quoi ? Je préfère demander avant de me
réveiller morte parce qu’on m’a forcée à coucher dans la même maison qu’un
meurtrier !
Non, mais dans déc…
-
On peut pas se réveiller morte, je dis.
-
Ma fille, tu vois très bien ce que je veux dire !
Elle s’éloigne de la porte.
-
Je me réveillerai devant Jésus en me demandant
ce qui s’est passé !
-
Genre vous irez au paradis, marmonne Papa.
Page 279
Je ne peux pas croire qu’Hailey
ait dit ça. Est-ce qu’elle a toujours fait ce genre de blagues ? Est-ce
que j’ai toujours ri parce que j’avais l’impression que c’était ce qu’on
attendait de moi ?
C’est ça le souci. On laisse les
gens dire des trucs, et ils en abusent au point qu’ils ne voient plus le
problème. Et que ça devient norma pour nous. A quoi ça sert d’avoir une voix si
c’est pour se taire quand il faudrait parler ?
-
Maya ? je dis.
-
Quoi ?
-
On ne peut plus lui laisser dire des trucs comme
ça, d’accord ?
Elle
sourit.
-
Alliance des minorités ?
-
Putain, ouais ! je dis.
-
Marché conclu !
Et
on se met à glousser.
Page 427
Personne ne parle dans la
voiture qui nous emmène chez la grand-mère de Seven.
J’ai dit la vérité. J’ai fait
tout ce que j’étais censée faire, et ça n’a pas suffi, putain. La mort de
Khalil n’était pas assez horrible pour être considérée comme un crime.
Mais merde, et sa vie alors ?
Avant, il marchait, il parlait, il était vivant. Il avait une famille. Des
copains. Des rêves. Rien de tout ça n’a compté, putain. C’était juste un voyou
qui méritait de mourir.
Autour de nous, ça klaxonne. Les
conducteurs crient la décision au reste du quartier. Des jeunes d’à peu près
mon âge juchés sur le toit d’une voiture, hurlent : « Justice pour
Khalil ! ».