Bonjour à tous,
J’avais envie de découvrir l’auteur Togolais, Théo Ananissoh, depuis quelques années déjà, alors j’ai décidé d’y remédier cette année ! Et pour cela, j’ai choisi son 6e roman, « Delikatessen », paru en octobre 2017 et dont la quatrième de couverture, bien que laconique de prime abord, a piqué ma curiosité.
Pour tout vous dire, j’ai vécu une expérience presque
inédite avec ce livre car je l’ai ouvert avec un apriori étrange (voire
absurde), convaincue que je n’allais pas accrocher à l’histoire. Eh bien, c’est
tout le contraire qui s’est produit car ce livre m’a littéralement transportée !
Je l'ai lu d'une traite. Impossible de m'arrêter
avant la fin. J’avais besoin de savoir ! Et surtout, ce livre me faisait tant
de bien que j’avais envie de prolonger ce bon moment. Aucune envie que ça
s’arrête !
Alors, j’imagine que vous vous posez tous la
question suivante : de quoi parle Delikatessen ?
Enéas, trentenaire togolais qui vit au Canada,
rentre à Lomé pour ses vacances, et croise la route de Sonia, belle animatrice
télé, également gérante d’un petit restaurant, et dont la beauté attise la
convoitise de bien d’hommes.
Sonia est belle. Indéniablement. Elle le sait, elle
en joue et maintient autour d’elle des prétendants qui veulent chacun être l’unique
homme dans sa vie.
Ignorant qu’elle est convoitée de tous, Enéas la séduit
et file le parfait amour avec elle, entre Lomé, Aného et Porto Seguro (actuel
Agbodrafo) jusqu’à ce qu’entre en scène un rival implacable, haut placé au sein
du gouvernement togolais, qui va bouleverser leurs existences.
L’intrigue, qui se déroule sur trois jours, aborde à
travers des lieux chargés d’histoire comme Aného et Porto Seguro (où se
trouvent les vestiges de la maison des esclaves), la construction du Togo suite
à l’emprise coloniale occidentale, mais aussi son contexte sociopolitique
particulier où la corruption, l’influence, la brutalité et la toute-puissance
d’une poignée d’hommes détruit l’avenir et la postérité de tout un peuple,
comme le déplore à plusieurs reprises le narrateur.
Je dois vous avouer autre chose. Après avoir lu la
première page du livre, j’ai failli renoncer. J’ai trouvé le style de Théo
Ananissoh un brin trop scolaire. Des phrases simples, courtes. Trop simples !
Qui vont à la fois à l’essentiel mais décrivent méthodiquement et simplement
chaque action. Je me suis crue en train de lire le scénario d’un film. Et ça
m’a dérangé. Je voulais lire un roman. Pas un scénario ! Et puis… Sans
m’en rendre compte, à partir de la 3e page, je n’ai plus arrêté de
tourner les pages.
Ce qui fait la force de ce roman, c’est justement
son style de narration si particulier, qui intrigue autant qu’il embarque ;
son texte d’une intelligence inouïe. Sa simplicité, sa délicatesse cache en
réalité une mécanique méthodique dont il devient difficile de s’extirper. Le
narrateur interpelle souvent le lecteur, lui parle, le prend à part, lui fait
des confidences. Ça surprend au début et puis on s'y habitue, on apprécie
l'intimité ainsi permise, ainsi accordée comme à un témoin privilégié.
Tout au long des pages, je me répète une seule
chose : ce livre est une claque ! Une claque !
Le style, la narration méthodique. Les personnages si
habilement construits autour de la réalité culturelle et politique du Togo sont
tellement réalistes, vrais, entiers dans leurs doutes, leurs réflexions, leurs
émotions.
Les émotions, justement, sont partout dans ce
livre. Tapies derrière les phrases, terriblement justes, elles ne laissent pas
indifférent. Elles sont palpables. L'angoisse, la peur, l'anxiété, la rage, le
dégoût, l'impuissance, le bonheur, le plaisir de vivre, le plaisir de jouïr !
Je reçois une claque d’émotions, de bonheur à
chaque page tournée. Je n’ai pas envie que ça finisse et pourtant, j’ai envie
de savoir ce qui va arriver à Enéas et à Sonia.
Delikatessen (qui veut littéralement dire
« épicerie fine », en gastronomie) est assurément un grand cru qui se
savoure. Il est d'une poésie, d'une délicatesse extrême.
Je le recommande chaudement. Vous devez le
lire !
Citations
Page 99
Au pied du lit et jusqu’au plafond […], des tas de
choses qu’elle vient peut-être de recouvrir de tissus afin de les dérober à la
curiosité involontaire d’Enéas. Pas d’armoire. Une cuvette ici aussi et un
panier qui en tiennent lieu, contenant (Enénas suppose) des linges, des pagnes,
des robes, et tout ce à quoi tient une femme, quel que soit le lieu du monde où
elle vit. Elle tient à ses chaussures, aux crèmes, aux pommades, aux lingeries
fines... La pauvreté est extrêmement laide chez la femme et l’enfant. Ce pays
humilie la femme. Ces hommes qui l’ont enlevé, ces êtres auxquels la tutelle
extérieure interdit d’avoir eux-mêmes pour cause et fin de leur énergie, de
leur intelligence, ces hommes interrompus
dans leur élan vital y consentent, ces bouffons spoliés de la possession
d’eux-mêmes sont des horreurs ; des ordures. Il éprouve plus que de la
tristesse ; c’est un véritable sentiment de haine qui lui affecte le cœur.
Page 141
Ici, à Aného, à Lomé, dans tout ce sud côtier du
Togo, on ne rénove pas une maison familiale. Aucun fils, aucune fille, même
richissime, n’investit dans un bien immobilier qui appartient à une multitude
de frères et sœurs hostiles, jaloux, malveillants les uns envers les autres. On
revient visiter la vieille mère qui y attend la mort, ou le vieil oncle comme
le fait à présent Enéas, on gare devant la ruine stylée (une mémoire
architecturale) un rutilant 4 x 4 ou une limousine, on s’assied dans des sièges
aux coussins troués, sous des plafonds poussiéreux et trempés d’eau de pluie,
on donne de l’argent aux vieillards en repartant, mais jamais on ne s’avise de
faire faire des réparations, si petites soient-elles.
Page 180
Enéas… Comment dire ? C’est comme (image prosaïque
qui est la première à lui venir à l’esprit)… c’est comme lorsque vous goûtez à quelque
chose auquel vous ne vous attendiez pas, et que, d’un coup, vous comprenez que vous
pouvez vous nourrir finement sans payer bien plus, que vous pouvez vous montrer
exigeant ; que vous avez droit aux delikatessen.
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